Capitaine Morin

Le capitaine Morin

«C’était la troisième prise d’otage du mois, pensa le capitaine Morin. Ça fait pas mal d’heures supplémentaires. Maudite lune.» S’adressant à la ronde:

–          Je viens d’arriver. Qui peut m’informer des développements?

–          Le sergent Hébert, capitaine. Il est là-bas, il communique avec la Centrale, lui cria quelqu’un à l’abri derrière le fourgon de l’escouade.

En se dirigeant vers les informations, le capitaine enregistre la scène.

Quartier résidentiel reconnu pour sa population défavorisée, malheureusement trop visité par le corps policier. QG de hors-la-loi. La verdure fait partie du passé. Des sacs de poubelles trainent partout, la plupart éventrés. L’éclairage de rue déficient, victime de tir de pierre. Six voitures balisées et le fourgon d’où viendront le briefing. L’intervention vise un duplex en brique… Les «campeurs» ont l’air d’enligner le premier plancher.

–          Sergent Hébert?

–          Oui, capitaine, je suis à vous dans un instant, répondit l’interpellé qui termina presque instantanément son appel.

–          Qu’est-ce qui se passe exactement, j’ai pas de détails, demanda Morin, accablé par l’humidité d’une veille d’orage.

–          Tout ce qu’on sait, c’est qu’il y aurait au moins un tireur fou avec des otages. Possiblement sa femme, on sait pas pour les enfants. Des voisins ont entendu des coups de feu et alerté tout de suite la police.

–          Mmm… grogna le capitaine.

Encore une histoire de femme qui veut laisser un pauvre type pas fichu de se rendre compte que la relation va mal. Tout ce qu’il sait répondre c’est : «si je t’ai pas, personne d’autre t’aura.» Il se suicide après l’avoir tuée sous prétexte de pas pouvoir vivre sans elle. De toute façon, il veut pas faire de prison parce que, après tout, elle le mérite pas. Pauvre zigoto, entre deux maux, …

Les réflexions sont coupées par une série de coups de feu qui font voler en éclat la vitrine du salon.

Aussitôt, une bombe fumigène y est lancée. Il ne restait qu’à attendre.

De l’autre côté du bâtiment, des coups de feu résonnèrent dans l’air humide et écho provoqué par un plafond de nuages bas. Une partie des hommes accourent en renfort. Les autres emboîtent le pas au Capitaine.

La porte n’offre aucune résistance. Dans le salon, une lampe sans abat-jour à même le sol, un divan défoncé devant une télévision allumée au poste de Météo, en mode silence. Au pied de la vitrine éclatée, Morin note des débris de verre et plusieurs cartouches vides.

Il passe à la cuisine, encombrée de vaisselle sale et de contenants de bouffe rapide vides. Dans un coin, un parc d’enfants ne contenant aucun jouet. Que des couvertures et des harnais de chien de traineau.

La salle de bain était un véritable champ de culture bactérienne.

Dans la première chambre, rien à signaler, si ce n’est le même genre de désordre. Quant à la seconde, elle méritait plus d’attention. Un homme et une femme étaient allongés, côte à côte, bâillonnés, ligotés et ensanglantés. En s’approchant, il devint évident que l’homme avait cessé de vivre : son cerveau était plus à l’extérieur  qu’à l’intérieur de son crâne. La femme portait un ensemble de jogging en ratine fatiguée, autrefois vert forêt, aujourd’hui à moitié ensanglanté au centre du corps.

Le capitaine dépêcha un homme pour aviser les ambulanciers qui attendaient. Ensuite, il se dirigea vers la porte de la cuisine qui donnait sur la cour d’où provenait les coups de feu échangés plus tôt.

Ce qu’il vit le glaça d’horreur…

Quand les assaillants sortirent, les policiers embusqués les sommèrent de se rendre, à quoi ils répondirent en tirant. Malheureusement pour eux, les agents visaient trop bien.

Les bras ballants, le capitaine Morin fixait les deux corps qui gisaient. Un sur le dos, sur les marches du perron de ciment. Il regardait sans voir le ciel, les joues maculées de larmes et de sang. L’autre était tombé tout près, à plat ventre dans le gazon. Les deux s’agrippaient encore à leur fusil.

Ils ne devaient pas avoir plus de 8 ou 9 ans.

 

1 thought on “Capitaine Morin

  1. Hello Diane,
    Voilà ce que j’appelle une nouvelle, de par sa mise en situation et sa terrible chute. Bravo pour ton inspiration.
    Françoise

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